Friedrich Nietzsche

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Nietzsche naît le 15 octobre 1844, dans le village de Röcken. Son père, Karl-Ludwig Nietzsche, et sa mère, Franziska Oehler, sont tout deux issus d'anciennes familles luthériennes. Karl-Ludwig, qui fut précepteur royal, vient de s'installer à Röcken, avec sa jeune femme, pour prendre ses fonctions de pasteur protestant. En 1846, naît Elisabeth, puis Ludwig Joseph (27 février 1848). En 1849, Nietzsche perd son père âgé de 36 ans, qui souffrit longuement et douloureusement d'une tumeur au cerveau, puis son frère, l'année suivante (4 janvier 1850), ce qui l'affecta profondément malgré son jeune âge. Le jeune Nietzsche grandit alors dans un milieu exclusivement féminin, entouré de sa mère, de sa sœur, de sa grand-mère et de ses tantes. Sa mère le destinait au pastorat (suivant la tradition familiale : son grand-père et son père étaient pasteurs), et Nietzsche commence des études de théologie. Mais il avait perdu la foi depuis plusieurs années, et s'intéressait à la science, en particulier à l'évolutionnisme darwinien tout récent. Il choisit alors de poursuivre des études classiques de philologie à Pforta, puis monte à Bonn et à Leipzig :

« Un autre signe distinctif des théologiens est leur incapacité philologique. J'entends ici par philologie (…) l'art de bien lire, de savoir distinguer les faits, sans les fausser par des interprétations, sans perdre, dans le désir de comprendre, la précaution, la patience et la finesse[1]. »

Pendant ses études à l'université de Leipzig, la lecture de Schopenhauer (Le Monde comme volonté et comme représentation, 1818) va constituer les prémices de sa vocation philosophique. Toutefois, l'importance de cette lecture, qui sera au fondement de sa relation avec Wagner, est contestée, car Nietzsche, à cette même époque, s'intéresse à des penseurs rationalistes, en particulier Démocrite[2]. En outre, il lit bien d'autres penseurs et scientifiques : Lange, von Hartmann, Emerson notamment. C'est à cette époque qu'il rencontre brièvement Wagner, en 1868, à Leipzig. Élève brillant, doué d'une solide éducation classique, Nietzsche est nommé à 24 ans professeur de philologie à l'université de Bâle, puis professeur honoraire l'année suivante[3]. Il développe pendant dix ans son acuité philosophique au contact de la pensée de l'antiquité grecque dans laquelle il voit dès cette époque la possibilité d'une renaissance de la culture allemande[4], — avec une prédilection pour les Présocratiques, en particulier pour Héraclite et Empédocle, mais il s'intéresse également aux débats philosophiques et scientifiques de son temps. Pendant ses années d'enseignement, il se lie d'amitié avec Jacob Burckhardt et Richard Wagner (qu'il revoit à partir de 1869) dont il serait un parent éloigné.[5] En 1870, il s'engage comme infirmier volontaire dans la guerre franco-allemande, mais l'expérience est de courte durée, Nietzsche tombant malade. Bien qu'il soit à cette époque patriote, Nietzsche commence à formuler quelques doutes à propos des conséquences de la victoire prussienne.

En 1872 paraît La Naissance de la tragédie, qui obtient un certain succès, mais fait l'objet d'une vive querelle avec le philologue Ulrich von Wilamowitz-Moellendorff. Erwin Rohde, philologue et ami de Nietzsche, et Wagner qui considère ce texte comme l'expression de sa pensée, prennent sa défense. Nietzsche formera ensuite le projet d'écrire une dizaine d'essais, les Considérations Inactuelles, mais il n'en paraîtra finalement que quatre, et, mis à part Richard Wagner à Bayreuth, ces œuvres eurent très peu de succès.


Vers 1875, Nietzsche tombe gravement malade, et, à la suite de plusieurs malaises, ses proches le croient à l'agonie. Presque aveugle, subissant des crises de paralysie, de violentes nausées, l'état d'esprit de Nietzsche se dégrade au point d'effrayer ses amis par un cynisme et une noirceur qu'ils ne lui connaissaient pas. Nietzsche commence à se détacher de Wagner qui le déçoit de plus en plus, et il considère le milieu wagnérien comme un rassemblement d'imbéciles n'entendant rien à l'art wagnérien.[6] Alors que Nietzsche rédige Richard Wagner à Bayreuth, il écrit dans ses carnets une première critique de son ami. Non seulement il ne se sent plus lié avec ce dernier par la philosophie de Schopenhauer, mais Wagner s'est révélé un ami indiscret, ce qui conduira Nietzsche à ressentir certains propos de Wagner comme des offenses mortelles. Wagner soupçonna en effet Nietzsche de quelques penchants « contre-nature » censés expliquer son état maladif : « un effet de penchants contre nature préfigurant la pédérastie[7] ».

Il abandonne alors ses idées sur l'Allemagne dans lesquelles il ne voit plus que grossièreté et illusions. Il discute longuement avec Paul Rée, avec qui il partage ses idées et son cynisme sur l'hypocrisie de la morale[8], et commence à écrire un livre, d'abord intitulé Le soc, puis Humain, trop humain. Quand Wagner reçoit ce dernier livre (envoi auquel il ne répondra pas), Cosima écrit dans son journal : « Je sais qu'ici le mal a vaincu. » L'antisémitisme de Cosima semble également avoir joué un rôle dans la rupture entre son mari et Nietzsche[9].

En 1878, Nietzsche obtient une pension car son état de santé l'oblige à quitter son poste de professeur. Commence alors une vie errante à la recherche d'un climat favorable aussi bien à sa santé qu'à sa pensée (Venise, Gênes, Turin, Nice - où il sera en même temps que Guyau sans le savoir vers 1888, Sils-Maria, etc.) :

« Nous ne sommes pas de ceux qui n'arrivent à former des pensées qu'au milieu des livres — notre habitude à nous est de penser en plein air, marchant, sautant, grimpant, dansant… ».


En 1882, alors qu'il a recouvré la santé et que son moral inquiète parfois ses amis par son exubérance, Nietzsche rencontre Lou Andreas-Salomé avec qui il projette de créer un « cercle des esprits libres », une « Trinité » (comprenant Rée) d'étude - au sens de la mythologie grecque. Nietzsche espérait à cette époque fonder une école pythagoricienne exclusivement consacrée à la culture et acceptant hommes et femmes. Lou l'a ébloui et subjugué par son intelligence (il disait reconnaître en elle sa « sœur intellectuelle »). Lou qui, à 21 ans, avait abjuré tout sentiment amoureux, repousse par deux fois une demande en mariage de Nietzsche, après lui avoir fait peut-être espérer des sentiments réciproques (elle notera dans ses souvenirs qu'elle ne savait plus si elle avait embrassé Nietzsche). Ce refus le désespéra profondément, lui qui, malgré ses critiques contre les femmes, sentait le besoin d'une compagne qui le comprenne : depuis son plus jeune âge, Nietzsche avait vécu très souvent en compagnie de sa sœur, Elisabeth, sœur dévouée et fidèle jusqu'à la jalousie[10]. Avec la maladie, Nietzsche avait besoin de quelqu'un pour s'occuper de lui, et toutes les femmes de son entourage (sa mère et sa vieille amie Malwida von Meysenbug) le poussaient à se marier. La même année, il commence à écrire Ainsi parlait Zarathoustra lors d'un séjour à Nice. Nietzsche ne cesse d'écrire avec un rythme accru. Cette période prend brutalement fin le 3 janvier 1889 avec une « crise de folie » qui, perdurant jusqu'à sa mort, le place sous la tutelle de sa mère et de sa sœur.

Au début de cette folie, Nietzsche semble s'identifier aux figures mythiques et mystiques de Dionysos et du Christ, symboles pour lui de la souffrance et de ses deux interprétations les plus opposées. Selon le témoignage de son ami Franz Overbeck venu le chercher à Turin, Nietzsche est alors encore capable d'improviser au piano de bouleversantes mélodies ; pendant quelque temps, il sera encore capable de tenir des conversations, mais celles-ci sont stéréotypées, concernant les souvenirs d'avant la crise. Il reçoit plusieurs visiteurs, et certains, comme Rudolf Steiner, tentent de le récupérer pour leur propre cause[11]. Puis, au bout de quelque temps, il sombre dans un silence presque complet jusqu'à sa mort. Quand Overbeck le revoit pour la dernière fois, en 1892, Nietzsche lui apparaît dans un état végétatif.


On s'est beaucoup interrogé sur les causes de sa maladie et l'image même d'un penseur devenu fou a conduit à diverses appropriations, du vivant même de Nietzsche[12]. Certaines théories à ce sujet ont eu pour but de réduire la pensée de Nietzsche à sa folie. Une explication qui fut couramment acceptée, est relative à la syphilis que Nietzsche avait contractée, comme nombre d'artistes et écrivains célèbres de son temps, et qui dans sa phase tertiaire, dite de « neurosyphilis » peut mimer toutes sortes de pathologies psychiatriques. Nietzsche, au début de sa folie (« folie » qui ne l'empêchait pas dans les premiers temps de discuter presque normalement), déclara avoir été infecté en 1866.

Nietzsche devenu aliéné, c'est sa sœur, Elisabeth, qui s'occupa de gérer la publication des œuvres et des carnets de son frère. Elle fonda dans ce but le Nietzsche-Archiv. Sœur dévouée que Nietzsche aimait profondément jusqu'à ce qu'elle se marie avec un antisémite virulent, Bernhard Förster[13], elle fut une fervente admiratrice de Guillaume II et adhéra ensuite au parti nazi, rencontrant Hitler (qu'elle soutint comme elle soutint également Mussolini). Elle fit publier les dernières œuvres de Nietzsche, mais utilisera et manipulera certains extraits des textes de son frère afin de soutenir une cause nationaliste et antisémite. Elle composa La Volonté de puissance, un livre dont Nietzsche élabora plusieurs plans sans l'achever, préférant en faire plusieurs livres. Elle écrivit également plusieurs livres sur son frère dont le caractère hagiographique a été remis en cause. La critique historique a établi qu'Elisabeth procéda à des falsifications des œuvres de jeunesse, des lettres et des fragments posthumes de son frère.



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