Commentaire composé Chapitre 18, Livre II (Du démentir) de “Les Essais”

-
Résumé du commentaire composé
Commentaire composé sur \"Du Démentir\" de Montaigne (Les Essais, Livre 2, Chapitre 18). analyse sur Du démentir de Montaigne a été rédigée par un professeur de français.
- rédigé par BacFrancais
- format .pdf
- style abordable & grand public
-
Télécharger le commentaire maintenant!
-
Extrait du résumé
Extrait du commentaire composé du livre
“Les Essais”Les Essais n'est pas une oeuvre autobiographique, mais certains chapitres le sont. Le chapitre 18, intitulé \"Du démentir\" est consacré aux justifications autobiographiques. Il reprend l'avis aux lecteurs et montre qu'il écrit pour lui et ses amis. Il aborde un thème fondamental : pourquoi et comment parler de soi. Il est assez rare qu'un auteur ne s'interroge pas sur sa démarche autobiographique. Il s'interroge sur une éventuelle perte de temps. Deux thèmes : interrogations sur le bien fondé de l'écriture autobiographique, et justification de l'autobiographie et de sa publication.
Texte étudié : Essais de Montaigne : Livre 2 : Chapitre XVIII : Du démentir
VOIRE mais, on me dira, que ce dessein de se servir de soy, pour subject
à escrire, seroit excusable à des hommes rares et fameux, qui par leur
reputation auroyent donné quelque desir de leur cognoissance. Il est
certain, je l'advoüe ; et sçay bien que pour voir un homme de la commune
façon, à peine qu'un artisan leve les yeux de sa besongne : là où pour voir
un personnage grand et signalé, arriver en une ville, les ouvroirs et les
boutiques s'abandonnent. Il messiet à tout autre de se faire cognoistre,
qu'à celuy qui a dequoy se faire imiter ; et duquel la vie et les opinions
peuvent servir de patron. Cæsar et Xenophon ont eu dequoy fonder et
fermir leur narration, en la grandeur de leurs faicts, comme en une baze
juste et solide. Ainsi sont à souhaiter les papiers journaux du grand
Alexandre, les Commentaires qu'Auguste, Caton, Sylla, Brutus, et autres
avoyent laissé de leurs gestes. De telles gens, on ayme et estudie les
figures, en cuyvre mesmes et en pierre.
Cette remontrance est tres-vraye ; mais elle ne me touche que bien peu.
Non recito cuiquam, nisi amicis, idque rogatus.
Non ubivis, coramve quibuslibet. In medio qui
Scripta foro recitent sunt multi, quique lavantes.
Je ne dresse pas icy une statue à planter au carrefour d'une ville, ou dans
une Eglise, ou place publique :
Non equidem hoc studeo bullatis ut mihi nugis
Pagina turgescat:
Secreti loquimur.
C'est pour le coin d'une librairie, et pour en amuser un voisin, un parent,
un amy qui aura plaisir à me racointer et repratiquer en cett' image. Les
autres ont pris coeur de parler d'eux, pour y avoir trouvé le subject digne
et riche ; moy au rebours, pour l'avoir trouvé si sterile et si maigre, qu'il
n'y peut eschoir soupçon d'ostentation.
Je juge volontiers des actions d'autruy : des miennes, je donne peu à
juger, à cause de leur nihilité.
Je ne trouve pas tant de bien en moy, que je ne le puisse dire sans rougir.
Quel contentement me seroit-ce d'ouyr ainsi quelqu'un, qui me recitast les
moeurs, le visage, la contenance, les plus communes parolles, et les
fortunes de mes ancestres, combien j'y serois attentif. Vrayement cela
partiroit d'une mauvaise nature, d'avoir à mespris les portraits mesmes de
noz amis et predecesseurs, la forme de leurs vestements, et de leurs
armes. J'en conserve l'escriture, le seing et une espée peculiere : et n'ay
point chassé de mon cabinet, des longues gaules, que mon pere portoit
ordinairement en la main, Paterna vestis et annulus, tanto charior est
posteris, quanto erga parentes major affectus.
Si toutesfois ma posterité est d'autre appetit, j'auray bien dequoy me
revencher : car ils ne sçauroyent faire moins de comte de moy, que j'en
feray d'eux en ce temps là. Tout le commerce que j'ay en cecy avec le
publicq, c'est que j'emprunte les utils de son escriture, plus soudaine et
plus aisée : En recompense, j'empescheray peut estre, que quelque coin
de beurre ne se fonde au marché.
Ne toga cordyllis, ne penula desit olivis,
Et laxas scombris sæpe dabo tunicas.
Et quand personne ne me lira, ay-je perdu mon temps, de m'estre
entretenu tant d'heures oisives, à pensements si utiles et aggreables ?
Moulant sur moy cette figure, il m'a fallu si souvent me testonner et
composer, pour m'extraire, que le patron s'en est fermy, et aucunement
formé soy-mesme. Me peignant pour autruy, je me suis peint en moy, de
couleurs plus nettes, que n'estoyent les miennes premieres. Je n'ay pas
plus faict mon livre, que mon livre m'a faict. Livre consubstantiel à son
autheur : D'une occupation propre : Membre de ma vie : Non d'une
occupation et fin, tierce et estrangere, comme tous autres livres.
Ay-je perdu mon temps, de m'estre rendu compte de moy, si
continuellement ; si curieusement ? Car ceux qui se repassent par
fantasie seulement, et par langue, quelque heure, ne s'examinent
pas si primement, ny ne se penetrent, comme celuy, qui en fait son
estude, son ouvrage, et son mestier : qui s'engage à un registre de
durée, de toute sa foy, de toute sa force.
Les plus delicieux plaisirs, si se digerent ils au dedans : fuyent à
laisser trace de soy : et fuyent la veuë, non seulement du peuple,
mais d'un autre.
Combien de fois m'a cette besongne diverty de cogitations
ennuieuses ? (et doivent estre comptées pour ennuyeuses toutes
les frivoles) Nature nous a estrenez d'une large faculté à nous
entretenir à part : et nous y appelle souvent, pour nous apprendre,
que nous nous devons en partie à la societé, mais en la meilleure
partie, à nous. Aux fins de renger ma fantasie, à resver mesme,
par quelque ordre et project, et la garder de se perdre et
extravaguer au vent, il n'est que de donner corps, et mettre en
registre, tant de menues pensées, qui se presentent à elle.
J'escoutte à mes resveries, par ce que j'ay à les enroller. Quantesfois,
estant marry de quelque action, que la civilité et la raison me
prohiboient de reprendre à descouvert, m'en suis-je icy desgorgé,
non sans dessein de publique instruction ! Et si ces verges
poëtiques :
Zon sus l'oeil, zon sur le groin,
Zon sur le dos du Sagoin,
s'impriment encore mieux en papier, qu'en la chair vive. Quoy si je preste
un peu plus attentivement l'oreille aux livres, depuis que je guette, si j'en
pourray friponner quelque chose dequoy esmailler ou estayer le mien ?
Je n'ay aucunement estudié pour faire un livre : mais j'ay aucunement
estudié, pour ce que je l'avoy faict : si c'est aucunement estudier,
qu'effleurer et pincer, par la teste, ou par les pieds, tantost un autheur,
tantost un autre : nullement pour former mes opinions : Ouï, pour les
assister, pieça formées, seconder et servir.
Mais à qui croirons nous parlant de soy, en une saison si gastée ? veu qu'il
en est peu, ou point, à qui nous puissions croire parlants d'autruy, où il y
a moins d'interest à mentir. Le premier traict de la corruption des moeurs,
c'est le bannissement de la verité ; car comme disoit Pindare, l'estre
veritable, est le commencement d'une grande vertu, et le premier article
que Platon demande au gouverneur de sa republique. Nostre verité de
maintenant, ce n'est pas ce qui est, mais ce qui se persuade à autruy :
comme nous appellons monnoye, non celle qui est loyalle seulement, mais
la fauce aussi, qui a mise. Nostre nation est de long temps reprochée de
ce vice : Car Salvianus Massiliensis, qui estoit du temps de l'Empereur
Valentinian, dit qu'aux François le mentir et se parjurer n'est pas vice,
mais une façon de parler. Qui voudroit encherir sur ce tesmoignage, il
pourroit dire que ce leur est à present vertu. On s'y forme, on s'y façonne,
comme à un exercice d'honneur : car la dissimulation est des plus
notables qualitez de ce siecle.
Ainsi j'ay souvent consideré d'où pouvoit naistre cette coustume, que nous
observons si religieusement, de nous sentir plus aigrement offencez du
reproche de ce vice, qui nous est si ordinaire, que de nul autre : et que ce
soit l'extreme injure qu'on nous puisse faire de parolle, que de nous
reprocher la mensonge. Sur cela, je treuve qu'il est naturel, de se
deffendre le plus, des deffaux, dequoy nous sommes le plus entachez. Il
semble qu'en nous ressentans de l'accusation, et nous en esmouvans,
nous nous deschargeons aucunement de la coulpe : si nous l'avons par
effect, aumoins nous la condamnons par apparence.
Seroit-ce pas aussi, que ce reproche semble envelopper la couardise et
lascheté de coeur ? En est-il de plus expresse, que se desdire de sa
parolle ? quoy se desdire de sa propre science ?
C'est un vilain vice, que le mentir ; et qu'un ancien peint bien
honteusement, quand il dit, que c'est donner tesmoignage de mespriser
Dieu, et quand et quand de craindre les hommes. Il n'est pas possible
d'en representer plus richement l'horreur, la vilité, et le desreglement :
Car que peut on imaginer plus vilain, que d'estre couart à l'endroit des
hommes, et brave à l'endroit de Dieu ? Nostre intelligence se conduisant
par la seule voye de la parolle, celuy qui la fauce, trahit la societé
publique. C'est le seul util, par le moyen duquel se communiquent noz
volontez et noz pensées : c'est le truchement de nostre ame : s'il nous
faut, nous ne nous tenons plus, nous ne nous entrecognoissons plus. S'il
nous trompe, il rompt tout nostre commerce, et dissoult toutes les liaisons
de nostre police.
Certaines nations des nouvelles Indes (on n'a que faire d'en remerquer les
noms, ils ne sont plus ; car jusques à l'entier abolissement des noms, et
ancienne cognoissance des lieux, s'est estendue la desolation de ceste
conqueste, d'un merveilleux exemple, et inouy) offroyent à leurs Dieux,
du sang humain, mais non autre, que tiré de leur langue, et oreilles, pour
expiation du peché de la mensonge, tant ouye que prononcée.
Ce bon compagnon de Grece disoit, que les enfans s'amusent par les
osselets, les hommes par les parolles.
Quant aux divers usages de noz desmentirs, et les loix de nostre honneur
en cela, et les changemens qu'elles ont reçeu, je remets à une autre-fois
d'en dire ce que j'en sçay ; et apprendray cependant, si je puis, en quel
temps print commencement cette coustume, de si exactement poiser et
mesurer les parolles, et d'y attacher nostre honneur : car il est aisé à
juger qu'elle n'estoit pas anciennement entre les Romains et les Grecs : Et
m'a semblé souvent nouveau et estrange, de les voir se dementir et
s'injurier, sans entrer pourtant en querelle. Les loix de leur devoir,
prenoient quelque autre voye que les nostres. On appelle Cæsar, tantost
voleur, tantost yvrongne à sa barbe. Nous voyons la liberté des invectives,
qu'ils font les uns contre les autres ; je dy les plus grands chefs de guerre,
de l'une et l'autre nation, où les parolles se revenchent seulement par les
parolles, et ne se tirent à autre consequence.